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Lettre ouverte à Emmanuel Macron pour la fin des violences au travail

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Les Ateliers du Travail

Monsieur le Président,

Si la France fait face à la crise sanitaire, c’est notamment grâce à l’engagement des femmes : en première ligne pour assurer les activités essentielles, en télétravail tout en permettant la continuité pédagogique de leurs enfants, et auprès de nos aîné·e·s dont elles assurent majoritairement la prise en charge. Le confinement a aussi entraîné une augmentation des violences domestiques, une hausse de plus de 30 % de signalements ayant ainsi été constatée. Pourtant, à l’heure du déconfinement, les femmes pourraient être ̶ à nouveau ̶ oubliées, sommées de remiser leurs revendications pour ne pas accroître les difficultés économiques des entreprises. Un jour d’après comme avant, en pire ?

Ce 21 juin, il y a un an, l’Organisation Internationale du Travail, adoptait la première norme internationale concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Arrachées par la mobilisation des femmes et le mouvement syndical, la convention et la recommandation sont ambitieuses et novatrices et constituent le premier texte international contraignant visant à lutter contre le harcèlement et les violences au travail. Elles exigent des États et des employeurs la mise en place de politiques systématiques de prévention et de protection des victimes, que les violences aient lieu au travail ou dans le cadre domestique. Ces progrès majeurs ne pourront voir le jour que si cette convention est ratifiée par les États.

Tandis que plusieurs États s’apprêtent à le faire à l’image de l’Uruguay, le silence semble de mise dans l’Hexagone. Malgré nos multiples interpellations, et en dépit de l’annonce de la Ministre du Travail d’engager « sans tarder la concertation avec l’ensemble des acteurs », le gouvernement ne nous a pas tenu·e·s informé·e·s de l’avancement de ce processus qui semble pourtant déjà engagé : à ce jour, ni ouverture de négociations tripartites avec les acteurs sociaux, ni publication du calendrier parlementaire nécessaires pour cette ratification au niveau national. Pire, le gouvernement laisse entendre que si une ratification a lieu, elle pourrait se faire sans modification du droit national, donc sans avancée sociale.

Monsieur le Président, cette ratification doit être l’occasion de changer la donne en France et de nous doter d’une législation de référence pour éradiquer les violences sexistes et sexuelles au travail et créer des droits pour les victimes de violences conjugales à l’image du Canada, de l’Espagne, des Philippines, ou encore de la Nouvelle-Zélande. Elle doit être le signe que « le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant » ! Nous souhaitons que la ratification de la convention soit l’occasion d’améliorer le droit français sur plusieurs points clés. Alors qu’en France, 30% des salariées ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail1, la quasi-totalité des employeurs n’a toujours aucun plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il est urgent d’en faire un sujet obligatoire de négociation à tous les niveaux sous peine de sanction pour les employeurs. L’ensemble des professionnel·le·s, des représentant·e·s du personnel et des salarié·e·s doivent être formé·e·s et sensibilisé·e·s pour lutter contre ces violences.

En France, 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur2. Et pour cause, quand elles le font, 40 % estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée voire un licenciement. Dans la lignée de la convention adoptée à l’OIT, la France doit sécuriser l’emploi et la carrière des victimes de violences, que celles-ci aient un lien avec le travail ou non, en mettant en place plusieurs mesures : le droit à des aménagements d’horaires, de poste, des congés payés, la possibilité d’une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie, ainsi que l’accès à une prise en charge médico-sociale et psychologique des victimes sans frais. Pour garantir le droit au travail et le maintien en poste des femmes victimes de violences conjugales, il convient d’interdire leur licenciement comme c’est le cas pour les victimes de violences au travail.

La Convention (n°190) de l’OIT pointe la nécessité d’accorder une attention particulière aux facteurs de risques exposant à la violence, comme le travail isolé, de nuit, et aux personnes en situation de vulnérabilité. Nous pensons que sa transposition dans le droit français est l’occasion d’adopter des mesures spécifiques pour protéger notamment les personnes migrant·e·s, les personnes LGBTQI+ ainsi que les travailleur·se·s précaires.

Enfin, la France a aussi une responsabilité à l’étranger à travers l’activité de ses multinationales. Dans le cadre du devoir de vigilance, il est nécessaire d’imposer aux entreprises de prévenir la survenance de telles violences dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement.

En France comme dans le reste du monde, les violences tuent, brisent et humilient les femmes. Elles sont au fondement des rapports de domination. La ratification de cette Convention (n°190) de l’OIT offre l’opportunité d’y mettre fin en se dotant d’une législation et des moyens humains et financiers nécessaires.

Nous vous demandons, à l’instar de la CNCDH3 qu’une négociation tripartite en France soit rapidement organisée pour mettre en œuvre les instruments adoptés le 21 juin 2019.

Monsieur le Président, nous ne voulons pas de médaille. Nous voulons l’égalité et la fin des violences.

 

Signataires :

Ana Azaria, Présidente de Femmes Egalité

Aurélie Trouve, Porte Parole d’ATTAC

Béatrice Lestic, Secrétaire nationale de la CFDT

Carole Bécuve, Responsable des ateliers du travail

Caroline Brac de la Perrière, Directrice du Fonds pour Les femmes en Méditerranée

Caroline De Haas, #NousToutes

Catherine Sophie Dimitroulias, Présidente de l’Association des Femmes de l’Europe Méridionale (AFEM)

Christiane Marty, Fondation Copernic

Claire Charlès, Secrétaire Générale des Effrontées

Emilie Trigo, Secrétaire Nationale de l’UNSA

Françoise Picq, Association Nationale des Etudes Féministes

Françoise Vinson, Vice-présidente ActionAid France

Irène Ansari, Coordinatrice Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie-LFID

Laura Jovignot, Fondatrice du collectif #PasTaPotiche

Manon Laurent, Présidente de l’ONG ReAct

Marie-Thérèse Martinelli, Secrétariat national de la Marche Mondiale des Femmes – France

Marilyn Baldeck, Directrice de l’AVFT

Mélanie Luce, Présidente de l’UNEF

Mireille Dispot, Secrétaire Nationale a l’égalité des chances CFE-CGC

Monique Dental, Présidente fondatrice Réseau Féministe “Ruptures”

Muriel Salmona, Présidente de l’association Mémoire Traumatisque et Victimologie

Murielle Guilbert, Secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires

Pascale Coton, Vice-présidente de la Cftc

Philippe Lévêque, Directeur général de CARE France

Roselyne Rollier, Présidente Maison des Femmes Thérèse Clerc

Sabine Salmon, présidente de Femmes Solidaires

Séverine Lemiere, Présidente Association FIT une femme un toit

Sigrid Gerardin, Secrétaire nationale de la FSU co-responsable secteur Femmes

Sophie Binet, Dirigeante confédérale de la CGT en charge des droits des femmes

Suzy Rojtman, Porte parole Collectif National pour les Droits des Femmes

Youlie Yamamoto, Animatrice du Collectif À cause de Macron

1 https://jean-jaures.org/nos-productions/deux-ans-apres-metoo-les-violences-sexistes-et-sexuelles-au-travail-en-europe

2 Enquête sur le harcèlement sexuel au travail »réalisée par l’Ifop (en 2014) pour le compte du défenseur des droits www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_etu_20140301_harcelement_sexuel_syn-these.pdf

3 www.cncdh.fr/sites/default/files/declaration_2020_-_4_-_200428_declaration_ratificatoin_convention_oit_ndeg_190.pdf

 

Tribune parue le 24 juin dans Le Journal du Dimancheet le 23 Juin dans le blog Les Invités de Médiapart

 

Pour soutenir cette lettre ouverte signez la pétition : www.stopviolencestravail.org

 

 

 

 

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